Appoigny – Les Bries
L’opération d’archéologie préventive a porté sur une surface d’environ vingt-cinq hectares à l’emplacement du futur parc d’activités de la Communauté de l’Auxerrois, à quelques kilomètres au nord d’Auxerre à la jonction entre la RN6 et l’A6. Elle s’est déroulée sur deux périodes, en 2015 et en 2016, 11 mois de fouille au total, sur six secteurs de travail distincts.
Les vestiges mis au jour s’échelonnent chronologiquement de la Préhistoire à l’époque romaine, d’environ ‑100 000 ans au IVe siècle après J.-C. Ces millénaires de fréquentation et d’occupation ne sont pas véritablement étonnants puisque la vallée de l’Yonne constitue un axe majeur de circulation entre la vallée du Rhône et le bassin parisien, mais il est exceptionnel qu’ils soient aussi bien attestés archéologiquement.
Toutefois, toutes les périodes ne sont pas également représentées. Les occupations du Paléolithique moyen et supérieur et celles de l’Antiquité sont les plus remarquables, tandis que des phénomènes d’érosion/arasement ont dû détruire en grande partie les vestiges des autres périodes chronologiques.
La Préhistoire
Plusieurs concentrations lithiques moustériennes ont été mises au jour, toutes dans le secteur 3. Le débitage des pièces est particulièrement soigné, notamment avec un facettage systématique des talons des produits et sous-produits Levallois. La finesse et la régularité de la retouche des outils, des racloirs et des pointes moustériennes surtout, est également remarquable.
Cette série lithique, quoique géographiquement isolée, représente un jalon supplémentaire dans la reconnaissance de l’occupation moustérienne régionale, bien moins documentée dans cette partie sud de la vallée de l’Yonne que dans sa partie nord.
Le Paléolithique supérieur est représenté, uniquement en secteur 5, par une concentration de plusieurs centaines d’outils en silex, essentiellement des lames. Si beaucoup d’entre elles ont été retrouvées réparties sur plusieurs mètres carrés, d’autres étaient encore concentrées, rassemblées sous la forme d’un fagot qui laisse croire qu’il pourrait s’agir d’une cache d’outils : les silex auraient été placés dans une petite fosse.
Une occupation néolithique est attestée mais, certainement en raison de phénomènes d’érosion, les vestiges en sont rares. Les quelques structures néolithiques mises au jour (fosses et trous de poteau) sont localisées dans les secteurs 2 (partie sud) et 3, tandis que les autres secteurs n’ont livré que des silex épars en faible quantité. Les premières observations du mobilier laissent penser qu’il pourrait y avoir une différence chronologique entre les vestiges des deux secteurs : Néolithique ancien (BVSG) en secteur 3 et Néolithique moyen en secteur 2.
La Protohistoire
Les vestiges de l’âge du Bronze se répartissent en trois pôles principaux. L’un, situé dans la partie sud du secteur 2 et dans le secteur 3, pourrait être interprété comme une nécropole. On n’y trouve quelques vases écrasés en place qui semblent en position fonctionnelle. Cette disposition et la typologie des céramiques incitent à y voir les restes d’urnes cinéraires. Une deuxième concentration, dans la moitié sud du secteur 7, pourrait correspondre à l’emplacement d’un habitat. Il comprend essentiellement quelques fosses et, sur quelques mètres carrés, un paléosol riche en céramiques. La troisième, au nord du secteur 2, ne compte que deux fosses polylobées. Tous ces vestiges ont subi une érosion importante.
Seules quelques fosses localisées dans la partie nord du secteur 2, ainsi que d’autres peut-être dans le secteur 5, peuvent être datées du premier âge du Fer.
- La fin du deuxième âge du Fer : La Tène finale
Les vestiges de La Tène finale sont présents dans quatre secteurs. Le mobilier céramique du second âge du Fer découvert dans les secteurs 1 et 2 présente un faciès homogène de La Tène D2. Il provient de quelques fosses et de fossés situés à l’extrême nord du secteur 2, tandis qu’il a été découvert dans des fosses et surtout dans des puits, non cuvelés, dans le secteur 1.
Il est vraisemblable qu’un certain nombre de fosses et de trous de poteau très arasés des secteurs 4 et 5 doit être rattaché à cette période. Seul le plan de plusieurs greniers est lisible.
L’Antiquité
L’époque romaine est largement représentée dans tous les secteurs de fouille. L’occupation antique doit être mise en relation avec la voie d’Agrippa, dite voie de l’Océan, qui reliait Lyon à Boulogne-sur-Mer en passant dans la région par Chalon, Autun, Auxerre et Sens. Cette voie doit se situer immédiatement en bordure est de l’emprise des secteurs 4 et 5 puisque l’on considère que la route N6 est implantée ici sur le tracé de l’itinéraire antique. Par cette voie, le site n’était distant que de 5-6 km de la ville romaine d’Auxerre – Autessiodurum.
- Augustéen-IIe siècle ap. J.-C.
Les lieux sont exploités de deux manières : agricole et artisanale.
Des vestiges d’occupations agro-pastorales se répartissent dans le secteur 1, au nord du secteur 2 et dans les secteurs 4, 5 et 7.
Il s’agit, dans les secteurs 1 et 2, de fossés, de quelques fosses et de deux puits, l’un possédant un cuvelage en pierre et l’autre non. En secteur 7, des séries de trous de poteau permettent de restituer un ou deux bâtiments, construits de terre et de bois, probablement liés au travail agricole. Tandis que deux fossés encadrent un chemin menant aux constructions, d’autres fossés laissent percevoir l’organisation des parcelles. De la même manière en secteurs 4 et 5, le terrain est divisé par un grand nombre de fossés et par deux chemins, dont seuls les fossés bordiers sont conservés. Ces chemins doivent rejoindre plus l’est la voie d’Agrippa.
Plusieurs ateliers de terre cuite antiques ont été mis au jour dans le secteur 4 : trois ateliers de potier et une tuilerie. Si les vestiges conservés des premiers se limitent souvent aux fours et à quelques fosses, nous disposons en revanche de l’ensemble des structures de production des tuiliers romains. La répartition de ces structures rend compte de l’organisation du travail. Ainsi deux bassins quadrangulaires servaient à la préparation de la pâte argileuse, un grand bâtiment construit sur poteaux, une halle, servait au séchage et au stockage des tuiles et des briques après moulage, enfin deux fours assuraient la cuisson des productions.
L’extraction d’argile, pour les potiers et/ou les tuiliers, peut être à l’origine de grandes fosses localisées entre les ateliers. Un autre four de potier très arasé et isolé au sud du secteur 2 se rattache également au début du premier siècle d’après les quelques céramiques présentes dans son comblement.
Dans le secteur 4, quelques bâtiments maçonnés ont été découverts à proximité de la tuilerie. Leur fonction et leur datation restent à déterminer. La plupart de leurs matériaux de construction ont fait l’objet de récupération dans l’Antiquité. L’un d’entre eux au moins serait postérieur à la tuilerie puisque de nombreuses tuiles réemployées (issues de la tuilerie ?) sont utilisées dans la maçonnerie.
- Fin IIIe – IVe siècle ap. J.-C.
Un grand nombre de vestiges de l’Antiquité tardive correspondant à une occupation agro-pastorale ont été mis au jour. Ils se répartissent très inégalement selon les secteurs.
Seules deux fosses contiguës, dont une grande fosse d’extraction, sont datées du IVe siècle dans le nord du secteur 2. De même datation, le secteur 7 a livré un grand bâtiment sur poteaux plantés, un fond de cabane et peut-être des fossés.
L’ensemble le plus riche se développe à l’extrémité nord du secteur 1 sur une surface rectangulaire de 4500 m² (environ 130 m de long pour 35 m de large) orientée sud-ouest/nord-est. À l’ouest, deux fossés parallèles bordent l’occupation.
Ce site est composé pour l’essentiel de structures en creux (fossés, fosses, trous de poteau, puits…) correspondant à une occupation dont la chronologie a été établie entre la fin du IIIe siècle et le IVe siècle. Si aucun niveau de sol n’a été conservé, plusieurs niveaux d’épandage de mobilier ont été identifiés. Une douzaine de puits ont pu être fouillés en intégralité. Profonds en moyenne de 2,50 m, ils sont pour la plupart pourvus d’un cuvelage en pierres sèches et pour quatre d’entre eux d’un cadre en bois sur le fond. Ils ont livré une quantité importante d’un mobilier varié (céramiques, tuiles, faune, verre, métal…) mais également des artefacts plus rarement conservés (objets en bois ou en cuir) ainsi que de nombreux restes végétaux (feuilles, branchages…). Plusieurs concentrations de trous de poteau permettent d’ors et déjà d’identifier au moins une palissade et deux bâtiments rectangulaires, construits en terre et bois et probablement couverts par des toitures en tuiles.
L’ensemble des vestiges dégagés parait correspondre à une occupation rurale bien structurée et délimitée dans l’espace. Les éléments mobiliers découverts (notamment la céramique et le mobilier métallique) correspondent à un secteur d’habitat mais illustrent également des activités agro-pastorales (sonnailles, outillage agricole, outils…). Deux dépôts monétaires de la fin du IIIe siècle ont également été mis au jour. La qualité du mobilier exhumé illustre un site au statut particulier.
Plus au sud, deux autres concentrations plus réduites de vestiges (trous de poteau, fosses et puits) sont localisées de part et d’autre des deux grands fossés qui longent le site tardo-antique nord. Leur chronologie est identique à ce site, fin IIIe-IVe siècle.
Des fossés, datés également de la fin IIIe et du IVe siècle se développent selon des orientations perpendiculaires dans la partie centrale et septentrionale du secteur 1. Certains d’entre eux forment un enclos approximativement carré d’une cinquantaine de mètre de côté, dans lequel se trouve un puits cuvelé en pierre attribué à la même période.
En l’état actuel des études, rien n’interdit de croire que la série de vestiges datés de la fin IIIe et du IVe siècle dans le secteur 1 faisait partie d’un même et vaste ensemble dont la nature précise reste à déterminer. La quantité et la qualité des objets métalliques ainsi que celles des amphores découvertes sur le site tardo-antique nord (beaucoup d’amphores Dr. 20, présence d’amphores africaines, etc.) surprend pour un site rural, même situé à quelques dizaines de mètre de la voie d’Agrippa. Le contexte local est peut-être à même de fournir une explication. La tradition place la résidence des parents de saint Germain d’Auxerre sur le territoire d’Appoigny, dans une boucle de l’Yonne, à quelques centaines de mètre au nord-est du hameau des Bries. Germain serait né à Appoigny ou à Auxerre vers 378 (mort à Ravenne en 448). Sachant que ses parents étaient des aristocrates et riches propriétaires fonciers, il est plausible que ce site constitue une dépendance de leur domaine.
Jérôme Grasso (responsable d’opération – Archeodunum), Fabrice Charlier (responsable d’opération – Archeodunum), Alexis Taylor (responsable de secteur – Paléotime) et Laetitia Fénéon (responsable de secteur – Paléotime)