Du couvent franciscain au Musée savoisien : premières découvertes d’une fouille médiévale à Chambéry
Le Musée Savoisien, musée départemental d’histoire et des cultures de la Savoie à Chambéry est installé dans l’ancien couvent des cordeliers, un ensemble classé aux Monuments Historiques accolé à la Cathédrale Saint-François-de-Sales de Chambéry. Il fait actuellement l’objet d’un ambitieux projet de rénovation porté par le département de la Savoie. Dans le cadre de ce chantier, le Service Régional de l’Archéologie a prescrit une opération d’archéologie préventive, concernant une partie du bâti et le sous-sol de plusieurs bâtiments du Musée. Cette opération a été menée pendant plusieurs mois en deux grandes phases, de 2018 à 2020, par une équipe Archeodunum sous la direction de Quentin Rochet.
Huit cents ans d’histoire chambérienne
Le couvent de Chambéry appartient à l’ordre des frères mineurs (franciscains) fondé par Saint François d’Assises (†1226), et plus tard à sa branche conventuelle. Il est construit à l’extérieur de la ville à une date difficile à préciser dans la première moitié du XIIIe siècle, avant sa première attestation en 1253. La ville, devenue capitale de la Savoie, l’englobe dans son extension et sa nouvelle enceinte urbaine dès la fin du siècle suivant. La première église conventuelle, attestée dès 1282, est remplacée au XVe siècle par une église plus imposante, l’actuelle Cathédrale Saint-François de Sales, dont le chantier principal s’étend sur près d’un siècle.
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, d’importants travaux remanient profondément les bâtiments conventuels pour leur donner leur configuration actuelle autour du grand cloître bien connu des Chambériens. À la fin du XVIIIe siècle, la ville devient enfin siège d’évêché – le décanat de Savoie participait jusque-là de l’évêché de Grenoble – mais la place manque pour y installer cathédrale et palais épiscopal. Le choix se porte vers le seul ensemble urbain à même d’accueillir le nouvel évêché : le couvent des franciscains. Ceux-ci sont expropriés en 1777 et vont s’installer dans l’ancien couvent des Jésuites. Avec une interruption durant la période révolutionnaire, l’évêché reste dans les murs jusqu’en 1905 tandis que l’église conventuelle conserve son rôle de Cathédrale jusqu’à nos jours. L’ensemble est classé au titre des Monuments Historique en 1906 et 1911. Les bâtiments conventuels sont attribués au musée Savoisien qui ouvre ses portes en 1913.
Dans les murs et dans le sous-sol : le couvent du XIIIe siècle
Avant l’opération archéologique, nos connaissances sur le couvent du XIIIe siècle étaient minces, limitées principalement à quelques éléments architecturaux parmi lesquelles les baies de la salle capitulaire retrouvées dans les années 1980. L’opération a permis de reconnaître dans la construction moderne les murs érigés au Moyen Âge. Mieux encore, elle a vu la découverte des niveaux de circulations du couvent médiéval, relativement bien conservé, entre 1 m et 1,40 m sous les sols actuels.
Ainsi le sous-sol de la salle capitulaire (aile orientale – ancien accueil du musée) conservait son sol en mortier de chaux et ses enduits sur les murs gouttereaux. Le relatif bon état de conservation s’explique en partie par la brièveté d’usage de cet aménagement : dès la fin du XIIIe siècle cet espace intérieur est remblayé sur près d’un mètre de hauteur d’une épaisse couche d’argile étanchéifiant pour lutter contre les problèmes d’humidité récurrents à Chambéry. Une contrainte qui explique également le creusement après la construction du couvent de plusieurs drains sous les bâtiments. Rehaussée, la salle capitulaire communiquait avec le cloître par une porte flanquée de deux paires de baies. La pièce était équipée de banquettes latérales contre ses murs où s’asseyaient les frères pour assister au chapitre et délibérer.
À une même profondeur, l’aile nord du couvent a vu la mise au jour des aménagements du réfectoire. De grande dimension (plus de 20 m de long), celui-ci accueillait – au moins depuis le XIVe siècle – les assemblées de la ville en plus de son usage par la communauté religieuse. Un espace d’environ 1,30 m le long de ses murs périphériques était occupé par des estrades en bois et peut-être par des stalles, tandis que le centre de la pièce présente un solide sol en mortier de tuileau rouge. Sans qu’on puisse attester de leur présence dès la première construction, de hauts piliers viennent soutenir les poutres du plafond comme dans d’autres grands réfectoires franciscains (Paris, Troyes, etc.). La pièce est amputée au XVIIe siècle d’une partie de son emprise par l’agrandissement du cloître.
À la charnière des ailes nord et est, la fouille a permis de découvrir les cuisines de la communauté, au moins pour l’époque moderne : une grande pièce dotée d’une forte pile centrale pour soutenir son plafond, est équipée en cheminée et potagers. D’autres espaces du couvent ont également été fouillés (« Libraria », cour nord-ouest, etc.) et permettent d’identifier les aménagements anciens, les nœuds de circulations, et les modifications successives dans l’organisation spatiale du couvent.
Dans les élévations aussi les maçonneries témoignent des états successifs du couvent. Pour le couvent primitif, elles nous permettent d’envisager un ensemble dépourvu de ses extensions tardives (aile nord-est, escaliers de la période moderne, extension maximale de l’aile occidentale peut-être, etc.) et organisé autour d’un cloître de plus petite dimension que celui du XVIIe siècle. L’articulation de ce premier couvent avec l’église du XIIIe siècle – probablement situé à l’emplacement de l’actuelle cathédrale – nous est toutefois inconnue, la fouille n’ayant que marginalement concerné les secteurs proches de celle-ci.
Des inhumations dans les bâtiments du couvent
L’aile orientale du couvent est occupée par la salle capitulaire, la « Libraria » – une pièce voutée que la tradition érudite identifie comme bibliothèque de la communauté – et l’ancienne chaufferie du XXe siècle. Ces espaces ont livré durant la fouille un nombre important de sépultures. Une centaine d’entre-elles concernées par le projet d’aménagement ont fait l’objet d’une fouille, mais on peut estimer qu’elles ne représentent qu’une fraction des inhumations dans cette aile, peut-être un sixième. On sait également que d’autres espaces du couvent accueillent des sépultures qu’on devine nombreuses : la galerie du cloître ornée de dalles funéraires, la nef de l’église conventuelle et une partie de l’actuelle place métropole (parvis de la cathédrale).
La majorité des sépultures découvertes l’ont été dans la salle capitulaire, un espace relativement privilégié au sein de l’ensemble conventuel. Si l’église des franciscains n’est pas une église paroissiale, elle accueille parfois les laïcs, plus encore après leur mort. C’est également le cas de la salle capitulaire, dernière demeure d’une population mixte comprenant tous les âges et tous les sexes, dont un nombre significatif d’individus présentant des indices de stress de nature carentielle. Les inhumations y ont lieu entre la fin du XIIIe siècle (après rehaussement du niveau de sol) et le début de l’époque moderne. Elles se font selon deux orientations distinctes, probablement contraintes par les dalles de pavement de la pièce. L’étude des sépultures tend à montrer que la majorité des défunts, si ce n’est la totalité, a été inhumée habillée ou enveloppée d’éléments textiles comme le prouve notamment la mise au jour d’épingles de « linceul », d’autres conservent les vestiges de cercueils en bois. Les sépultures les plus tardives comportaient en outre des chapelets de facture soignée. La « Libraria » se distingue par l’inhumation dans un angle de la pièce d’un groupe constitué uniquement d’enfants et d’adolescents, sans qu’on puisse encore trancher sur les différentes hypothèses expliquant ce phénomène.
En plus des sépultures individuelles, trois caveaux ont été identifiés dans cet espace. Il s’agit de construction de grande dimension couvert de voutes en pierre et desservies par des escaliers d’accès, parfois même par un petit couloir. Seul un de ces caveaux a été concerné par l’intervention archéologique, les deux autres n’étant que très superficiellement concernés par l’aménagement du nouveau musée. L’étude anthropologique, encore largement en cours, permettra de mieux connaître cette population inhumée et d’en rechercher les logiques de recrutement.
Des latrines médiévales sous l’aile nord-est
L’aile nord-est du couvent est une construction de la période moderne, attestée au XVIIe siècle et parfois désignée comme logis de l’abbé. Sans indices sur l’occupation de cette espace avant cette construction, la découverte sous cette aile d’un bâtiment médiéval indépendant du couvent constitue une des principales surprises de la fouille. De cet édifice nous ne connaissons que la limite occidentale et les fondations, les élévations et les niveaux de sols ayant été détruits par la construction de l’aile. L’angle situé dans l’emprise de fouille comprenait toutefois une fosse de latrine maçonnée particulièrement bien conservée, scellé dans des niveaux humides par la démolition du bâtiment.
Plusieurs corpus mobiliers particulièrement intéressants ont été découverts dans cette fosse. En premier lieu les restes biologiques : graines et ossements animaux qui, à travers les études archéozoologiques et carpologiques, permettent de restituer « par le menu » l’alimentation des habitants du lieu aux XVe-XVIe siècle. La table dressée pour cette alimentation se décline dans le corpus en cruche en céramique, verres de table et écuelles en bois tournées. Ces dernières, très rarement conservées, car constituées d’un matériau périssable, constituent une découverte exceptionnelle par leur état de conservation. La fosse conservait également une partie des carreaux en céramique d’un poêle domestique de grande dimension. Ces carreaux présentent un riche décor dont chaque motif se répète sur plusieurs carreaux : casque orné d’un cimier et d’armoiries imaginaires, créatures mythiques, dames et troubadours jouant de la musique dans un jardin, décor de muraille et de tour coiffant le poêle, etc. Cet ensemble mobilier, guère conforme à l’idéal de pauvreté franciscain, désigne un habitat élitaire, bénéficiant d’une certaine aisance économique. La relation entre celui-ci et le couvent lui-même reste à définir.
Si la fouille est terminée depuis plusieurs mois, l’étude de ce site est encore très largement en cours. Elle permettra à terme de mieux comprendre l’évolution du couvent et à travers lui tant l’histoire de Chambéry que celle des établissements franciscains. Une partie significative des découvertes sera intégrée au musée Savoisien et à son parcours muséographique, qu’il s’agisse du mobilier archéologique mis au jour sous le musée ou des connaissances sur l’histoire des bâtiments dans lesquels évoluent les visiteurs du musée.