Il y a 2000 ans, des chiens et des hommes sous la place des Carmes à Clermont-Ferrand
Sur le passé, la Place
En été 2019, durant 18 semaines, une équipe d’Archeodunum a investi la Place des Carmes en préalable à son réaménagement complet (fig. 1). La décision de faire procéder à ces investigations archéologiques revient au Service régional de l’archéologie (Ministère de la Culture), qui a également contrôlé la bonne exécution des travaux.
C’est la présence de vestiges antiques et médiévaux qui a justifié l’exploration de 2000 m2. Si le maintien des voiries et des réseaux enterrés ont restreint et morcelé la fouille, les découvertes faites par les dix archéologues sont très nombreuses. Elles lèvent largement le voile sur la longue histoire de ce site, de l’Antiquité à nos jours.
Une moisson de découvertes !
Pour la période romaine, la mieux représentée, plusieurs bâtiments appartiennent peut-être à une vaste villa (fig. 2). Ils sont jouxtés par des sépultures d’hommes et d’animaux. Au Moyen âge, on stocke à cet endroit de la nourriture dans des silos enterrés. Plus tard, des sépultures et des maçonneries semblent dessiner un pôle religieux. Enfin, des galeries souterraines d’époque contemporaine restent pour l’heure assez énigmatiques.
2000 m2 pour 2000 ans d’histoire
Il y a deux mille ans, lorsque Clermont est encore la ville romaine d’Augustonemetum, le secteur de la Place des Carmes fait partie de la marge nord-est de l’agglomération. Cette zone suburbaine est traversée par des voies d’accès, le long desquelles se développent des nécropoles. Elle accueille également les premiers domaines agricoles qui exploitent les campagnes environnantes. À la fin de l’Antiquité, la ville se rétracte derrière des remparts et le secteur reste inoccupé. C’est avec l’essor de l’entreprise Michelin, à partir de la seconde moitié du 19e siècle, que la place des Carmes embrasse sa véritable fonction d’espace urbain.
Une villa romaine ?
L’équipe a dégagé de nombreuses fondations de murs un peu partout sur le site. La partie centrale s’est avérée la plus riche, avec un bâtiment de plus de 650 m2 (fig. 3). Composé de plusieurs pièces, il comprend notamment une cave et un espace ouvert à l’est, muni de quatre puits.
À la limite ouest du chantier, une abside semi-circulaire, peut-être en lien avec des bains, annonce un édifice probablement plus luxueux, qui se déploie sous le bâtiment Michelin. À l’opposé, une série de murs appartient à une autre construction qui s’étend en direction de l’est.
Pour l’instant, il est difficile de savoir à quoi correspondent ces trois bâtiments. S’agit-il d’une villa (au sens antique du terme, à savoir un domaine agricole) et de ses dépendances ? ou de bâtiments autonomes ?
On relèvera qu’ils partagent une même orientation, et que celle-ci est différente de la trame régulière de la ville antique. Faut-il y voir l’influence d’une voie toute proche ?
Des carrières en circuit court
Au contact de ces constructions, une découverte notable est celle d’une série de vastes fosses d’extraction de pierre. Le sous-sol a servi de carrière, ce qui représente une source d’approvisionnement « zéro kilomètre » facile d’accès. On en veut pour preuve le fait que ce sont ces matériaux qui constituent les fondations des murs.
Des offrandes pour l’au-delà
Archeodunum a exploré plusieurs espaces funéraires d’époque romaine. Le plus important se situe au pied du site Michelin, à côté du bâtiment à abside. Il regroupe une trentaine d’inhumations (fig. 4). Des offrandes (vases miniatures et autres objets du quotidien) accompagnent certains défunts (fig. 5 et 6).
Des chiens et des hommes
Un aspect remarquable, et particulièrement émouvant, est la présence conjointe de nouveau-nés, ou de jeunes enfants, et de chiens (fig. 7 et 8). Cette association est une pratique assez répandue en Gaule, notamment chez les Arvernes. À l’instar de nos chiens d’aveugles, mais ici dans le monde des morts, cet animal semble remplir un rôle de guide ou d’accompagnant.
Au plus près des vivants
Des zones funéraires plus petites sont au contact des autres édifices antiques. Au centre du chantier, un espace funéraire investit la façade orientale du bâtiment de 650 m2. À l’est, c’est une sépulture de nouveau-né qui a été découverte dans l’habitation (fig. 9). Cette tombe illustre la pratique, très répandue durant l’Antiquité, d’enterrer les tout-petits au sein du foyer domestique.
Premiers éléments de chronologie
Les premiers résultats, fondés sur l’étude des objets, suggèrent de dater les vestiges entre la fin du Ier et le IIIe s. après J.-C. La fin de l’occupation antique est manifestée par des fosses de récupération de matériaux, ainsi que par le comblement des puits, utilisés comme dépotoirs après leur abandon (fig. 10).
Quant aux sépultures, nous en saurons plus avec les datations radiométriques (carbone 14) qui seront réalisées sur les ossements. Seul indice matériel, une monnaie déposée dans la bouche d’un défunt en guise d’obole nous situe dans les décennies centrales du IIIe siècle après J. C.
Silos médiévaux, morts modernes et défense passive ?
En plusieurs zones du site, l’équipe d’Archeodunum a fouillé de nombreuses grandes fosses datées du Moyen âge (fig. 11). Il s’agit sans doute de silos enterrés, destinés au stockage des denrées (notamment des céréales).
À l’est, c’est une nouvelle série de sépultures qui apparaît, associée à des murs. On y restitue un ensemble à vocation religieuse. Faut-il y voir un lien avec le couvent voisin des Carmes-Déchaux ?
Enfin, une découverte inattendue est celle de trois couloirs souterrains en pierre et en béton. À l’heure actuelle, deux hypothèses sont envisagées : une appartenance à un système de galeries liées à la défense passive mise en place dans les villes de la France de la Deuxième Guerre Mondiale ; ou, plus probablement, d’anciens équipements d’entretien ou de franchissement routier ou ferroviaire. La levée de ce mystère sera confiée à un spécialiste des archives…
… Et après ?
La moisson d’informations recueillie par l’équipe d’Archeodunum est très riche et va éclairer la longue histoire de cette périphérie clermontoise, de l’Antiquité à nos jours. Mais les investigations se poursuivent en laboratoire ! Durant plusieurs mois, une dizaine d’archéologues et de spécialistes vont mener des études pour affiner et exploiter les données du terrain. Tous les résultats seront synthétisés dans un rapport final abondamment documenté et argumenté.
Opération d’archéologie préventive conduite par Archeodunum entre mai et septembre 2019 sur la commune de Clermont-Ferrand (Auvergne), à la Place des Carmes-Déchaux, en préalable au réaménagement de la place.
Prescription et contrôle scientifique : Service Régional de l’Archéologie d’Auvergne-Rhône-Alpes
Maîtrise d’ouvrage : Clermont Auvergne Métropole
Co-maîtrise d’ouvrage : Manufacture de Pneumatiques Michelin
Opérateur archéologique : Archeodunum (Responsable : Marco Zabeo)