Avant les gendarmes, des Romains !
C’est à la construction d’une nouvelle gendarmerie, et sur prescription de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes (SRA), que l’on doit la plus vaste fouille archéologique jamais ouverte sur l’agglomération antique d’Aquae Segetae (secteur de Moingt à Montbrison). Au cours de l’été 2020, non loin des fameux thermes de Sainte-Eugénie, c’est tout un pan de la cité romaine qui a émergé, sous les pioches et les truelles des archéologues d’Archeodunum, coordonnés par Camille Nouet (fig. 1).
Mèches, pièces détachées et mâchefer : un peu d’archéologie industrielle…
Nous nous situons à l’angle de la Rue Centrale et de la Rue du Repos. Tout au long du XXe siècle, la parcelle a vu se succéder des entreprises industrielles : fabrique de mèches et tarauds, scierie, peinture, équipement automobile, etc. Les dernières installations ont été démantelées en 2012. Si, au sol, il n’en demeure qu’une dalle de béton, les archéologues ont mis au jour toute une série de vestiges modernes : canalisations, gaines électriques, fondations en béton armé ou en mâchefer. Fort heureusement, ces constructions n’ont que partiellement détruit les vestiges antiques (fig. 2).
Une ville romaine qui n’est pas inconnue
La ville à laquelle a succédé Moingt s’appelait Aquae Segetae au temps des Romains. Ce nom nous est connu grâce à la célèbre Table de Peutinger, copie médiévale d’une carte routière romaine. La configuration de cette ville thermale se dessine par plusieurs monuments, découverts à partir du XVIIe siècle : un théâtre, des thermes, un probable sanctuaire, des habitations.
Une succession de bâtiments romains
Camille Nouet et son équipe ont découvert plusieurs bâtiments appartenant à différentes époques de l’antiquité romaine, entre le Ier et le IIIe siècle (fig. 3). Les murs, qui sont les premiers repères, sont pour la plupart très érodés. Certains ont conservé l’enduit et la peinture qui les recouvraient. Les sols qui dessinent les pièces des bâtiments sont faits de différentes manières. La plupart du temps, ils sont en mortier de chaux, parfois agrémentés d’éclats de tuiles ou de briques. D’autres sont simplement en terre battue : le mobilier, les poteries principalement, écrasé à leur surface, facilite leur repérage.
Une foule d’objets riches d’enseignements
Les nombreuses poteries sont déterminantes pour les archéologues, car elles permettent de dater les couches dans lesquelles elles ont été trouvées (fig. 4). Les couches de démolition et les remblais, riches en objets et en matériaux brisés, apportent de précieux renseignements sur l’architecture et la vie quotidienne (fig. 5). Une mention spéciale pour les enduits d’une colonnade décorés de motifs végétaux ! (fig. 6)
Un chauffage par le sol, emblématique du monde romain
Un élément remarquable a été dégagé au nord-est de la fouille. Il s’agit d’un hypocauste, un dispositif destiné à « chauffer par en-dessous » une pièce (fig. 7). La chaleur d’un feu dessert, grâce à un canal, un espace souterrain. Ici, des petites colonnes en briques supportent le sol de la pièce chauffée. La chaleur remonte le long des parois par des briques creuses. L’espace peut être une simple pièce chauffée, ou bien une salle de bain. Ce chauffage par le sol est bien connu à l’époque romaine et largement utilisé dans tout l’Empire romain.
Forgerons et sépultures
Au nord de la fouille, l’équipe a trouvé de nombreuses fosses remplies de déchets métallurgiques et de charbons. Cela suggère la présence d’une forge. Au sud, ce sont plusieurs petits pots intacts qui ont été découverts (fig. 8). Ils accompagnaient probablement un défunt. Plus tard, lorsque le quartier antique est abandonné, quelques sépultures sont installées ici et là, sans doute au Moyen‑Âge.
Ouverture au public : un beau succès malgré les contraintes sanitaires
L’équipe s’est largement mobilisée pour ouvrir le chantier lors des Journées Européennes du Patrimoine, dans le cadre des manifestations organisées par la mairie de Montbrison. Le vendredi 18 et le samedi 19 septembre, ce sont deux classes élémentaires et près de 190 personnes qui ont été accueillies sur le site. Au programme, visites guidées et stands thématiques, sans oublier masques, gel hydroalcoolique et un petit orage qui n’ont en rien réfréné l’enthousiasme des visiteurs…
Et la suite ?
Depuis, le terrain a été rendu à l’aménageur afin qu’il puisse édifier la nouvelle gendarmerie. Côté archéologie, c’est un long travail d’analyse des données recueillies sur le terrain (dessins, photographies, objets, prélèvements) qui démarre. Nos spécialistes vont se livrer à de minutieuses études, afin de comprendre au mieux comment on a vécu dans ce secteur de la ville romaine d’Aquae Segetae. Tous les résultats seront réunis dans un rapport final abondamment documenté et argumenté.
Opération d’archéologie préventive conduite entre juillet et octobre 2020
sur la commune de Montbrison (Loire), Rue du Repos, avant la construction d’une gendarmerie
Prescription et contrôle scientifique : Service Régional de l’Archéologie d’Auvergne-Rhône-Alpes
Maîtrise d’ouvrage : SCI Caserne Montbrison
Opérateur archéologique : Archeodunum (Responsable : Camille Nouet)